J'étais logé près d'une famille à un championnat de France jeune et le père sympa m'invitait au restaurant quand son fils gagnait ou faisait nul. En cas de défaite, c'était sandwich à l'hébergement. Avec l'accord tacite de l'entraîneur, le gamin ne forçait pas trop et a fait une belle série de nulles. Nous mangions des fruits de mer et j'étais satisfait du séjour. Malheureusement, à la dernière ronde, à l'issue d'une partie marathon, le gosse s'était pris un vilain mat avec sacrifice de dame. Le retour en voiture avait été horrible. Le père énervé vomissait pendant des heures sur les arabes. Le mouton égorgé dans la baignoire, l'insécurité, toute la propagande du fasciste ordinaire y était passé. Un commercial dans une grande entreprise publique de l'énergie. Bien noté. La France ce sont les réseaux et afficher des opinions extrêmes vous aide à signer des contrats.
Ce mat en deux, c'était pourtant pas la faute des arabes. J'en pouvais plus et j'avais failli lui demander de me laisser là, au bord de la route. J'avais estimé la perte d'un client et la galère sur une aire d'autoroute comme des bravades inutiles.
Auparavant, ce genre d'appels à la haine étaient rares, il fallait se cacher. Sa femme lui demandait d'ailleurs de se taire. Maintenant, ils parlent sans honte, l'épidémie s'est rependue dans la plaine.
Les corréziens sont gentils, souriants, serviables mais quand ils vont voter, les extrêmes sortent. Aux présidentielles, les fachos ont fait 50/50 avec Macron dans mon village et un peu plus loin, ils étaient majoritaires.
Pourtant, à Tulle, à la fin de la guerre, un gradé nazi a ordonné d'aller chercher des chômeurs dans la ville et de les pendre aux balcons. 99 gars ont été exécutés. D'accord, Tulle est une vilaine ville, mais il aurait pu éviter de la décorer façon barbare avec un supplicié par maison. Quand ils ne trouvaient pas de chômeurs, les soldats prenaient un type qui y ressemblait, il fallait faire le compte.
Ils ont la mémoire courte ces corréziens. On s'ennuie dans les campagnes, ils veulent que cela recommence, revoir les rues remplies de macchabés.
Je suis inquiet. J'ose à peine leur parler, une chance sur deux qu'ils me servent des discours abominables.
Vivant difficilement le confinement, je suis allé voir les membres d’un ordre religieux contemplatif, dans les environs.
L’un d’entre eux a coupé le contact avec l’humanité. Il vit dans une grotte inaccessible au flanc d’une falaise. Il est ravitaillé avec un panier suspendu à une corde. Le condisciple chargé de l’approvisionnement a sournoisement glissé des bouteilles d'eau de vie de prune, production locale, dans le sac à provision. Des passants ont entendu l'ermite chanter.
Sa communauté s'est émue. Fallait il soumettre le pénitent à la tentation ? Ils ont décidé, magnanimes, qu'il recevrait une bouteille à chaque fête sainte du calendrier.
Il y a des périodes un peu longues dans l'année. D'aucuns prétendent l'avoir entendu pleurer mais ce ne sont que des racontars.
La surenchère morbide dans les médias du fait de la pandémie me rappelle un élève qui criait: « On va tous mourir! » pendant l'atelier d'échecs. Les enfants de sa classe s'étaient habitué aux incantations du pitre mais à chaque fois je tressaillais d'angoisse. Je m'interrogeais même sur ma sensibilité.
Je pensais ce gamin à moitié frappé mais non il répétait avec l'intonation une scène d'un dessin animé où une boite de tomate avait pris conscience de sa fragilité et redoutait l'avenir.
Le dessin, j'aurais voulu représenter l'inquiétude du triage. Dans un hôpital surchargé, ceux qui sont considérés comme trop faibles pour supporter les soins sont envoyés dans la mauvaise file.
Avec la canicule, il est fréquent de devoir jouer dans une salle où la température dépasse les trente degrés. Les organisateurs ne précisent pas sur leurs affiches que les locaux ne sont pas climatisés.
Réfléchir des heures dans ces fournaises, baignant dans la sueur et les odeurs corporelles, un bel avant gout de l'enfer.
Le blitz n'a pas une grosse image de marque. Les novices sont surpris en poussant les portes des club d'échecs de trouver des joueurs tapant avec frénésie sur des pendules.
J'ai trouvé étrange qu'une des principales banques françaises soit associée à des tournois de blitz populaires, sans prix, sans élite et sans prestige.
La banque s'est retirée, la FFE a un gros déficit et le président, devenu minoritaire, a du partir. C'était une équipe élue sur des slogans aux relents populistes. Quelques années plus tard, les
comptes sont déficitaires, les dossiers en panne et les membres des commissions démissionnaires. Une responsabilité collective.
Difficile de savoir ce qui se passe dans l'inconscient des joueurs d'échecs et c'est certainement différent pour chacun:
Des enfants pleurent lorsqu'ils perdent leur dame. Des vieillards s'accrochent instinctivement à la survie de leur roi même si la cause est entendue. Des adultes abandonnent la compétition, ne supportant pas la tension nerveuse après les parties.
Jeune animateur lorsqu'une maman d'élève est venue me demander des explications sur l'engouement soudain de son fils pour les échecs, je lui ai répondu sans nuances:
« Il existe une interprétation psychanalytique: La chasse du roi aux échecs est une mise en scène du meurtre du père, le complexe d' Oedipe. Des champions du monde, Fischer, Kasparov, ont été élevés par leur mère et ont dû vivre avec un père absent.»
La femme m'a regardé de manière bizarre lorsque j'ai parlé de meurtre, cherchant une lueur de folie dans mon regard.
Elle est partie et je n'ai plus vu son fils dans mes cours.
J'aurai pu dire que les hommes sont des grands singes joueurs mais la réponse n'aurai pas convenu non plus.
Le jeu d'échecs cache sa complexité. Un enfant vient juste d'apprendre à jouer et déjà il éclate de rire.
Lorsque j'annonçais la victoire de l'indien Anand sur Gelfand aux championnats du monde d'échecs, surtout auprès des petits, la classe partait en danses, tam-tam et cris de sioux. J'avais beau expliquer qu'Anand vivait en Inde, la farce les amusait beaucoup.
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