Ces vacances de Noël, je fis l'open de Mont de Marsan. J'aimais bien retourner dans le Sud ouest.
Pendant cinq jours, seuls les résultats de mes parties importaient. Un mode de vie simple comme lorsque j'étais écolier et les bonnes notes me comblaient de joie.
Tout se joua lors de la dernière ronde. J'étais opposé à un maître moldave et la nulle me suffisait car j'avais un demi point d'avance sur lui. Il était plus tendu que moi et cela me rassura. En Moldavie, il n'était pas riche et l'enjeu représentait quelques mois du salaire moyen moldave. Je fis une erreur en milieu de jeu mais sans compromettre complètement la partie. Il resta courtois en me félicita quand la nulle était inévitable.
Je finis devant un beau plateau de joueurs.
Velten gagna le tournoi. Il avait fait la course en tête. Il fus combatif. Je ne l'avais pas poussé à bout car je lui avais donné une tour dans une position ouverte.
Le joueur d'open disposait de plusieurs heures avant la partie pour préparer son adversaire sur les bases de données et avec l'aide des logiciels d'analyse, pouvait préparer quelques lignes qu'il pourrait resservir. C'est pourquoi les premiers coups se jouaient dans l'angoisse. Quand s'arrêterait la récitation? Le gars pouvait avoir amélioré une partie que vous aviez joué il y avait une dizaine d'années, une partie oubliée.
Pas de protection, les petits élos, les anciens, les gamins, tous des experts de Chessbase. Un open, c'était dix heures d'échecs par jour. Les vacances en famille, il valait mieux que les épouses fussent autonomes!
Un jour, un joueur d'échecs ira demander à être effacé des bases de données, fatigué de défendre son moi virtuel. Le droit à l'oubli aux échecs.
J'avais décidé de jouer un ligne théoriquement faible mais difficile à réfuter. La partie était retransmise sur le net. Mon adversaire a joué son coup, s'est levé et sa copine qui était jusqu'alors restée dans un coin devant un écran a couru l'embrasser avec effusion. J'ai perdu la partie mais a l'analyse, j'ai vu que la fille avait montré de la joie au moment même où l'évaluation de ma partie passait en négatif. Le lendemain, j'en ai parlé à l'arbitre. S'étant informé, l'arbitre m'a dit que cette fille avait un niveau très faible et n'avait pas pu être d'un grand secours à son ami. Je n'ai plus vu la fille dans la salle de tournoi.
Un open dépend souvent du dévouement d'une seule personne. Le budget est difficile a boucler. L'organisateur et les sponsors fuient les scandales. Les arbitres sont payés par les organisateurs et s'ils veulent rester dans le circuit, ils ne doivent pas faire du zèle.
Avec l'évolution des techniques, ils sont d'ailleurs confrontés, dans les gros opens, à une tâche impossible, surveiller des centaines de joueurs en mouvement. Si un joueur a un complice qui lui souffle le coup à l'oreille, c'est imparable.
Je commençais à jouer à Biarritz. Le club était dirigé par un ancien colonial et il y avait pas mal de républicains espagnols. Les républicains, fidèles à leur rôle, contestaient le pouvoir « oligarchique» de leur président. C'était dans un bar, il fallait prendre une consommation pour jouer des parties rapides de dix minutes toute l'après midi. La cotisation annuelle était pour les étrennes du serveur. J'étais l'unique jeune et je mis un an pour les battre car ils n'étudiaient pas la théorie.
Plus tard, dans le club limougeaud, j'assistais à une scène symbolique dans une assemblée générale: Un communiste faisait une intervention. J'étais jeune, peu instruit en politique et je ne saisis pas ce qui froissa l'abbé. Mais celui ci se leva, en colère : «Dans ces conditions, je ne peux pas rester». Il partit, personne n'essaya de le retenir.
Je ne participais plus aux assemblées de club car j'avais du mal à m'exprimer en public. Souvent, les gens votaient n'importe comment sur des sujets qu'ils ne connaissaient pas. Un orateur avec des arguments stupides pouvait emporter l'unanimité.
Autrefois, l'atmosphère des clubs était guindée. Les membres, de vieux messieurs pédants, s'interpellaient en se donnant du docteur. L'épisode de l'abbé fut un tournant. Les libertaires arrivèrent, suivis bientôt par des marginaux qui appréciaient ces lieux de création sans contraintes. Je faisais des passerelles entre les clubs et mes ateliers d'échecs dans les écoles. J'intégrais les jeunes aux activités du club mais les parents venaient me disaient : « Ils sont bizarres, ces joueurs d'échecs » et je perdais des élèves.
Un club d'échecs était un édifice fragile, souvent porté à bout de bras par un seul individu.
Je jouais en auvergne et mon club était le plus grand, en France, en nombre de licenciés A: Plus de cinq cent adhérents. Deux collègues animateurs allaient dans les écoles et licenciaient tous les participants aux ateliers. Le nombre de licences A donnait du poids à mon président de club aux élections fédérales. Peut être pour plaire au président du «plus gros club de France», je reçus une invitation pour participer, tous frais payés aux championnats de la méditerranée, en Turquie.
Un jour, il y eut une bisbille entre le maire et le président du club à propos des locaux du club. Le maire se fâcha, reprit ses locaux centraux et ne plus proposa que des salles, en intermittence, dans les quartiers périphériques. Cela ruina le club et le président dut démissionner. Les deux animateurs furent licenciés et « le plus grand club de France» disparut presque complètement.
Avec le net, les clubs n'eurent plus l'importance qu'ils avaient. Des sites permettaient de retrouver à toutes heures des joueurs et les amateurs y passèrent leur vie.
Le circuit catalan permet de jouer aux échecs dans des opens de haut niveau tout au long de l'été.
L'open d'Andorre est situé en zone montagneuse. C'est appréciable en ces périodes de canicule. L'organisation est bien rodée, de nombreux forts joueurs sont invités et les conditions de jeu sont idéales. Il se tient dans un hôtel chic et les participants ont l'impression d'être des privilégiés sans débourser grand chose car c'est la basse saison, dans cette station de ski.
Mon score global n'est pas fameux car je n'ai pas su convertir plusieurs positions avantageuses. Un exemple comme cette partie contre Kalegin:
Trouvez le gain tactique :
Facile: 1.Cc6! Dc5+ 2.Fe3 Dc6 3Tb8 et la tour est imprenable à cause de la fourchette en e7.
Le championnat de France jeunes fut la grande attraction annuelle et les clubs et les ligues cassèrent leur tire lire pour envoyer leurs entraîneurs soutenir leurs jeunes. A Pau, le cadre était rustique car nous étions dans le parc des expositions, mais nous ne manquions pas d'espace.
Le matin, le jeunes allaient voir l'entraîneur qui analysait le jeu de l'adversaire et lui proposait une ouverture avec une promesse de gain clé en main en une quinzaine de coups. Arrivé devant l'échiquier, le joueur, au bout de ses capacités de mémoire, était livré à lui même et les surprises surgissaient. Les ouvertures choisies n'étaient pas forcément fiables, l'efficacité à court terme était privilégiée.
Les entraîneurs étaient l'épine dorsale de la fédération: Ils allaient dans les écoles, amenaient les enfants dans les clubs et élevaient le niveau général. Ils étaient en contact avec tous les acteurs du monde des échecs et avaient une influence certaine.
Leurs situations étaient diverses selon les régions et leur dynamisme personnel. Un collègue lillois en emploi aidé me raconta son histoire. Il était rentré dans le cycle: Le club l'embauchait pour deux ans en emploi à mi temps. Il le licenciait et le reprenait après un an de chômage lorsqu'il était de nouveau éligible aux emplois aidés: Un maître expérimenté exploité; Son président de club était fier, les cours pour les jeunes étaient gratuits mais il restait un dindon dans la farce. L'entraineur faisait ses vingt heures de cours hebdomadaires pour la moitié d'un smig.
Les parents devaient être patients car ils ne pouvaient ni assister aux entraînements, ni voir les parties car la zone de jeu leur était interdite.
Le jeu d'échecs s'étudie comme une matière ordinaire. Un cours particuliers annualisé d'un cours par semaine vous assure un cinq sur neuf aux championnats et se stresser sur place ne sert à rien si la préparation en amont n'a pas été faite.
Il y avait moins de monde dans la salle d'analyse que les autres années. Il ne fallait pas s'accrocher à sa chaise et supporter les annonces aux haut parleurs des vendeurs de spécialités locales. Le filtrage à l'entrée de la salle des entraîneurs améliora nos conditions de travail mais cela nous isola des parents.
Les bons joueurs d'échecs ont une grosse capacité de travail. Tout s'apprend, les combinaisons, la stratégie, avec méthode. A travail égal, celui qui saura le mieux gérer la tension nerveuse aura les meilleurs résultats.
Les membres de l'équipe de France et les vedettes du top jeunes étaient là pour renouveler leur bail et ils le faisaient sentir. Ils se promenaient ensemble dans les allées avec des airs supérieurs. Ils étaient les favoris, appartenaient à des grands clubs qui leur proposaient plusieurs entraînements par semaine, des cours particuliers gratuits. Ils avaient participé à de grandes compétitions et à plusieurs opens dans l'année. D'après ma fille, ils se donnaient des tuyaux en douce et les arbitres étaient complaisants. Ils raflaient tous les titres.
Le meilleur junior français avait plus de trois cent points d'écart au classement avec les meilleurs mondiaux.
Ces championnats étaient des miroirs aux alouettes et gare à ceux qui mettaient leur étude de coté!
Tant qu'ils étaient mineurs, les champions étaient bichonnés.
Les subventions étaient orientées vers le secteur jeune.
Dès qu'il passait les vingt ans, le joueur d'échecs devait se prendre en charge. Il pouvait jouer en équipe mais aux tarifs des maîtres bulgares, c'est à dire quelques centaines d'euros la partie. Les tournois adultes n'étaient pas subventionnés.
Les gens le savaient et en cadet et en junior, le championnat de France jeune était beaucoup moins prisé et il n'y avait plus de sélection pour y accéder.
Les échecs, un jeu éducatif que l'on abandonne arrivé à l'âge adulte?
Ceux qui voulaient rester dans les échecs s'accommodaient. Ils devenaient entraineur.
Les limousins avaient fait un stage de préparation. Sans surprise, ceux qui avaient le plus d'expérience et travaillé dans l'année s'en sortirent le mieux. Les enfants jouèrent le jeu et firent des efforts jusqu'à la dernière partie. Ils mesurèrent l'écart entre eux et les meilleurs.
«Le joueur d'échecs» de Zweig. Les parties d'échecs qui tournent sans fin dans la tête d'un joueur, jusqu'à l'emporter dans la folie. Suite au succès de cet ouvrage, le cliché est resté: Le jeu d'échecs est dangereux pour l'esprit humain. Dans un récent interview d'un jeune grand maître américain de quatorze ans, le journaliste a demandé s'il n'avait pas peur de se perdre dans le labyrinthe des possibilités.
J'ai eu du mal à finir ce livre. Cet ouvrage aurait pu s'intituler autrement, le champion incriminé aurait aussi bien pu se perdre dans la poésie anglaise ou l'astronomie. Tout activité humaine, si on ne dort plus et si elle devient obsessionnelle peut être mortifère.
Il est certain que le jeu d'échecs attire les psychotiques; Il suffit d'aller faire un tour dans un open de province pour s'en convaincre.
Ils sont attirés par les possibilités créatrices du jeu d'échecs. Je faisais un cours adulte débutant au centre culturel et plusieurs de mes élèves se retrouvaient l'après midi à l'hôpital de jour, une antenne psychiatrique.
Le jeu d'échecs est facile d'accès, il suffit d'ouvrir quelques livres et de fréquenter un club pour débuter. Il ne demande pas une vie sociale importante ou la fréquentation d'universités. Le jeu d'échecs a cet attrait pour les personnes déséquilibrées car il peut donner un sentiment de surpuissance, de mégalomanie. L'impression que l'on domine toutes les éventualités. Je retrouve cet état dans le regard de mon adversaire, lorsque je joue un adolescent désirant s'affirmer.
Le jeu peut apparaître, par certains aspects, plutôt malsain. vous avez le droit de faire souffrir votre adversaire. Après tout, il est consentant, il a payé son inscription. Il existe des techniques, par exemple: La domination. Le but est d'asphyxier votre adversaire, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus bouger une oreille. Cette pression positionnelle peut durer des heures et le moindre faux pas le précipite dans le défaite. Cela engendre une tension nerveuse inégalée, difficile à évacuer. Parfois, je me demande pourquoi je passe mes week-end à jouer et souvent à souffrir en silence. Je ressens des émotions mais elles ne sont pas toujours positives.
Le jeu d'échecs demande un énorme travail personnel. L'écart que le joueur peut avoir entre la perception de lui même et la reconnaissance sociale est propice à l'apparition de maladies mentales. Dans le passé, l'isolement des maîtres d'échecs était plus grand et les professionnels avaient la vie rude. De nos jours, les échecs sont entrés dans la modernité, l'approche du jeu est plus rationnelle. Il y a l'appui des ordinateurs et les joueurs d'échecs ont une activité incessante sur internet. Pourtant, les grands maîtres n'encouragent pas leur enfant à les copier.
Le jeu en lui même est neutre. Si vous l'abordez dans un état psychique instable, il ne va pas vous arranger. Si vous avez un bon niveau d'éducation, il ne peut être que bénéfique. Il vous ouvrira à un monde extraordinaire et vous apprendra à mieux vous connaître.
Beaucoup de superstitions chez les débutants, dans les écoles. Ne sachant pas à quoi attribuer leurs défaites, certains enfants supposent que cela vient de la couleur des pièces et refusent ainsi de jouer avec une couleur ou une autre. Ils ont aussi des pièces porte bonheur. Confrontés à l'étrange imprévisibilité du jeu, ils appliquent des solutions irrationnelles.
J'explique qu'il faut suivre les principes : faire attention à la sécurité du roi, développer les pièces, contrôler le centre mais
il reste toujours des questions irrésolues.
Amusant est d'entendre les commentateurs anglais utiliser continuellement le mot "concrete" (réel, en béton), lorsqu'ils analysent une partie. Qu'est ce qui est réel dans ce jeu qui n'est que conceptuel? A la fin du jeu, les pièces sont rangées et il n'y a pas de traces. Ce qu'ils nomment "concrete", c'est lorsqu'ils peuvent déterminer avec certitude, dans une position donnée, si une variante donne la nulle ou le gain pour un des deux camps. Un concret bien éphémère.
Comment étais-je allé consulter mon ordinateur dans mon appartement au milieu d'une partie et étais je revenu placer mes analyses pour gagner sans efforts avec la bénédiction de l'arbitre?
Le tournoi d'Arette était en soirée et une panne générale d'électricité de plusieurs heures avait semé la confusion.
Nous avions joué quelques coups sous la lueur des lampes de secours mais elles s'étaient éteintes.
Des joueurs avaient allumé leur portable et s'étaient éclairés avec la fonction lampe de poche mais l'arbitre avait interrompu les parties. A ma surprise, ils avaient tous un téléphones sur eux.
J'avais analysé la position sur le temps d'autonomie de l'ordinateur.
Les deux limousins engagés s'étaient distingués dans ces tournois d'amateurs. Francis Chopinaud signa son retour et enleva l'open C avec 6.5/7. Je conseille de faire ses tournois accompagné d'un entraîneur. Je gagnais le tournoi A.
La logistique est importante aux échecs. J'avais participé à l'édition 2011, mais peu renseigné, j'étais venu avec une tente de plage et un duvet en nylon. J'avais souffert le martyre. Le gardien du refuge s'était moqué de moi. Le dernier campeur qu'il avait vu là, disait-il, un ours était venu manger ses provisions pendant la nuit. Le froid, à cette altitude, avait éteint ma combativité sur l'échiquier. Je regardais intrigué passer les randonneurs, bronzés dans leurs corps d'athlètes. Ils me prenaient pour un zombie avec mon matériel de plagiste. Peu loquaces, ils arrivaient le soir fourbus et repartaient à l'aube. Je me demandaient ce qu'ils cherchaient toute la journée sous le cagnard.
Ce coup ci, j'avais observé dans un studio les caprices de la nature.
Un tournoi pour les amoureux des grands espaces, du soleil et des cailloux. Chaque année, des joueurs entreprennent l'ascension du Pic d'Anie avant la ronde.
La réforme des rythmes scolaires allait dans la bonne direction vers l'égalité des chances pourtant elle a été combattue par les syndicats d'enseignants jusqu'à sa disparition. Comme à son habitude, le gouvernement Hollande fit mine de défendre son projet avant de capituler.
Plus d'écoles avaient des ateliers d'échecs à Limoges et des crédits étaient ouverts pour organiser des manifestations. Comme chaque année, les animateurs d'échecs ainsi que le service scolaire de la ville avaient organisé un tournoi par équipes de fin d'année à l'école Montalat, dans un quartier populaire. Soixante dix enfants venant de dix écoles primaires avaient participé à cette manifestation ce mercredi 18 juin de 14h30 à 17h30, prouvant, une nouvelle fois que le jeu d'échecs est une activité universelle.
Les joueurs disposaient d'un espace de jeu confortable, d'un échiquier de jardin, de jeux neufs prêtés par le club d'Isle. La mairie leur avait offert un goûter. Des bus étaient venus les chercher devant leur école. Tout avait été planifié et la journée a été une réussite. C'était un moment plaisant pour les élèves, ils m'en parleront tout au long de l'année, s'inquiétant de la venue du prochain tournoi.
Ils n'avaient eu que quelques heures d'atelier et n'avaient pas saisi les subtilités du jeu. Nous avions assoupli les règles.
Pour le classement nous avions pris les quatre meilleurs résultats individuels de chaque école.
J'avais arbitré la rencontre et respecté les horaires. Les bus étaient repartis à l'heure prévue.
L'équipe championne avait des cours d'échecs le mercredi matin à 8h30. A cette heure, les élèves étaient plus réceptifs qu'après une journée de classe.
Fuyant l'ennui mortel des tournois-pizzas limougeauds, nous étions allés jouer à Tarbes avec ma fille Miléna pour ce week-end pascal.
Là bas, émotion garantie, le niveau était fort et avec sept rondes en cadence lente sur trois jours, les participants ont dû aller au bout de leurs limites. Dans le sud, ils aiment s'engager sans retenue dans leur passion et ce tournoi était à leur image. Opposé à la dernière ronde à un espagnol batailleur, j'avais ressenti une grande lassitude, comparable à celle que j'avais pu sentir au milieu du marathon de vingt quatre heures de Condom. Mon adversaire était aussi au bout du rouleau et me tendait des pièges de balayeurs. Il avait besoin du point pour entrer dans la grille de prix. Il s'était lassé et avait accepté la nulle, pourtant, je n'étais pas loin de craquer. C'est cela qui différencie les champions. Ils ne ménagent pas leur énergie. Ils sont certains de leur fait, la victoire fait partie de leurs prérogatives.
Incroyable, une compétition féminine en limousin!
Le concept de faire jouer les filles entre elles plaît et la manifestation connut un certain succès. Avec quatre équipes de quatre joueuses, le club de Saint Pantaléon avait fourni presque tout
l'effectif.
Elles avaient répondu aux sollicitations du charismatique président du club et participaient à leur première compétition.
Arbitrant la rencontre. Je mis une bulle à une joueuse car elle avait laissé sonner son portable. Elle avait quitté le tournoi, toute énervée.
Les deux équipes en tête avec le plein de points, je ne devais pas les apparier à la troisième ronde. C'était indiqué dans un alinéa du règlement. Je n'y avais pas prêté attention et avais appliqué le système suisse ordinaire.
Le vindicatif dirigeant limougeaud y avait vu une triche et avait fait des réclamations à la fédération. Il n'en avait pas dormi de la nuit. Vu l'implication des participantes et le niveau de jeu, c'était bien faire des histoires pour pas grand chose.
Ces dames, je ne les ai jamais revu, ce fut la manifestation d'un jour.
Ces rencontres féminines ont une grande importance pour obtenir des labels et améliorent les demandes de subventions. Il ne faut pas être naïf, c'est l'objectif principal recherché.
Peu de féminines dans les clubs, c'est un milieu machiste.
Les mères de famille et les filles avant la puberté sont tolérées. Si elles ont une vie sexuelle, les femmes sont victimes de ragots, de harcèlements et de drague lourde. Pour ces gars, les clubs appartiennent aux hommes. Il manque cruellement de candidates dans les équipes.
Les parents précautionneux prennent leur voiture pour emmener leurs filles aux matchs.
Dans les matchs par équipe, les règlements imposent une fille.
J'avais fait un long déplacement, serré dans un fourgon avec mes coéquipiers: Une bétaillère. Au retour, plusieurs gars avaient raconté des blagues à caractère sexuel. Un vieux prof avait demandé à la féminine d'en raconter une. Elle n'avait pas voulu et les autres joueurs avaient insisté pour avoir une histoire. Même si elle était majeure, j'étais dégouté. J'avais mis plusieurs années à former cette gamine et ils étaient en train de tout casser. Lorsque nous étions passés à la gare, quartier des prostituées, plusieurs s'étaient penchés à la fenêtre et avaient détaillé les filles bruyamment: De vrais singes.
Une des rares contraintes que je m'imposais à l'époque était d'être au rendez vous pour le match par équipe le dimanche et je n'étais pas en phase avec ces libertaires contrariés, complètement surexcités. Ils étaient serrés dans leurs administrations et dans leurs familles la semaine et le weekend, ils lâchaient toutes les conventions.
La parole était vraiment très libre: Un maître nageur venait parfois dans l'équipe.
Il était un grand séducteur et ses récits avec les filles à la piscine étaient très réalistes, il s'emportait dans une passion malsaine. Il m'effrayait. Quelques années plus tard, il partit faire de l'animation d'échecs en Corse et fut condamné pour le viol de deux gamines.
Le conducteur de l'équipe arrivait toujours en retard et encore bourré de la veille. Il faillit nous tuer plusieurs fois.
Nous faisions le yo-yo entre la nationale deux et trois. Je faisais beaucoup de points pour l'échiquier limousin mais mes coéquipiers étaient faibles. Le président du club, peu intéressé par les résultats de l'équipe, nous rétrograda de nationale deux en nationale quatre.
La solidarité n'était pas leur point fort. Un dimanche, un haïtien et moi étions sans argent. Les autres joueurs étaient allés au restaurant avant la partie et nous avaient laissé là. Bien sur, nous fumes les seuls à faire le point pour l'équipe.
Je n'avais pas d'alternative pour jouer mais tous ces problèmes cumulés me dégoûtèrent et je partis.
Ils mirent ensuite de l'eau dans leur vin et firent tourner une école d'échecs mais connaissant les bonhommes, j'avais peur pour les gosses et je n'en envoya jamais s'inscrire dans leur club.
Capucine âgée de douze ans jouait en nationale quatre pour Isle. Les joueurs s'étaient arrêtés à un bar sur la route. Ils l'ont ramené tard en soirée. Il y avait un alcoolique invétéré dans l'équipe.
Un autre match, le même joueur était dans la voiture d'une mère de famille et au retour, sur un petit trajet de deux heures, il avait absolument voulu s'arrêter pour aller boire un coup. Elle avait refusé et il avait préféré finir en stop plutôt que de se passer d'alcool.
Les joueurs d'échecs s'amusent des frasques de ces poivrots mais en équipe, ils sont ingérables.
J'avais laissé Miléna, toute petite, huit ans, dans une coupe Loubatière à Limoges. Je travaillais dans les échecs durant la semaine, je n'avais pas envie d'assister à ces rencontres de petit niveau. J'avais confiance et je croyais que la communauté des joueurs d'échecs était une grande famille.
Un dépressif, cadre de l'échiquier limousin insulta ma fille, la traitant de tricheuse comme son père et d'autres amabilités. Il lui cria longtemps dessus et personne ne vint l'aider. Ah, la belle famille!
J'étais allé poser une main courante et la police me conseilla de voir çà avec le club. L'arbitre ne fit pas de rapport. Son point de vue était net. Il avait soutenu toute sa carrière ses collègues professeurs et ce n'était pas à la retraite qu'il allait commencer à les dénoncer. Le président de ligue, un autre professeur, estima aussi qu'il fallait laisser à l'agresseur une porte de sortie. Ses collègues faisaient block pour le soutenir et ces gens là se prétendaient de gauche. En France, nous avons l'école la plus inégalitaire d'Europe et cela ne date pas d'aujourd'hui. Ces comportements, pousser les pauvres et les minorités vers la sortie et se couvrir les uns les autres, c'est leur quotidien dans les collèges.
C'était de la méchanceté pure de la part de ce parent acrimonieux car il ne jouait pas avec elle et Miléna était une enfant calme et sans histoires.
Trois raisons de s'en prendre à elle: C'était une fille, elle était pauvre et elle avait de la réussite.
Ces formes d'intimidation étaient courantes et n'étaient pas gratuites.
Le type avait pu faire jouer ses gosses dans le club central de Limoges, bénéficier des subventions, faire jouer ses gamins dans de bonnes équipes et voir sa progéniture affichée sur les sites et dans les journaux.
Nous furent relégués avec mes gamines dans un petit club périphérique de nationale quatre sans moyens.
Des faisans comme lui, il y en a plein les associations et ils se battent pour le contrôle de l'espace social et pour orienter les aides publiques vers les classes dominantes.
J'ai travaillé dans les écoles privées et des idiots, les riches en ont leur lot mais un idiot riche ira plus loin qu'un enfant doué pauvre car il ne rencontrera pas ce genre de types pour lui faire barrage.
Pour mes filles, il y a trop de pervers dans la communauté échiquéenne et il y a pas de volonté fédérale pour les contenir. Elles ne veulent plus venir en tournoi. J'ai longtemps défendu les joueurs d'échecs mais devant l'accumulation des faits, j'ai du admettre l'évidence.
Les jeunes joueurs d'échecs idéalisent le personnage du mauvais garçon doué mais alcoolique, drogué et accroc aux jeux d'argent. Ce sont souvent les rejetons ratés de belles familles. Il y a en a des bandes entières dans les grands opens. La plupart sont inoffensifs mais certains sont dangereux.
Il est possible de leur trouver l'excuse de la jeunesse, mais lorsqu'ils avancent en âge, le spectacle de leur dépravation est pathétique. En tant qu'homme, si vous êtes confrontés à eux, il ne se passera certainement rien, les jeunes filles sont leurs cibles principales.
Nous avons intenté avec mes filles une action disciplinaire fédérale contre un repris de justice qui les avait attaqué. J'étais présent pour la procédure car Miléna était mineure. Il avait brûlé la plus grande avec une cigarette lors d'une manifestation organisée par la FFE. Il s'était fait condamné au pénal pour cette agression. Il ne s'était pas présenté au tribunal de la république car tous les éléments l'accablaient. Nous étions allés à la FFE car nous espérions le faire suspendre pour pouvoir faire des opens sans l'avoir à nos trousses. Je pensais que l'affaire serait une formalité mais à la FFE, cela se passa d'une autre manière.
Durant la première instance, le mis en cause avait sorti un certificat médical attestant d'un handicap psychique et s'était présenté comme une victime. De nombreuses personnes s'étaient fait menacer par ce type dont une arbitre mais elles avaient peur de venir témoigner. Son beau père était riche et finançait son club. Il bénéficiait ainsi d'un emploi d'animateur. Cela lui permettait de bien présenter devant les juges car il avait de sérieux démêlés avec la justice pour des affaires de drogue.
Le gars fut condamné à une suspension par la commission de discipline. Je fus surpris que la peine lui laissa le droit d'exercer sa profession d'animateur. Il me semblait inconséquent de laisser un gars qui semblait camé vingt quatre sur vingt quatre en charge d'éducation. "Arrêtez votre bazar les enfants, attention je ne rigole pas, je sors de prison". Imaginez la scène.
Il fit appel. La fédération nous convoqua devant la commission d'appel à Paris pour nous expliquer avec des airs goguenards qu'ils allaient reporter la session car la défense n'avait pas pu présenter ses témoins car nous étions un jour de match par équipe en nationale. Les mois suivants, le président de la commission d'appel avait prétendu ne pas trouver de volontaires pour constituer sa commission. L'appel étant suspensif, l'agresseur avait pu continuer à participer aux opens. L'affaire s'enlisa, voilà la justice fédérale.
Devant le déroulé étrange de cette procédure, j'avais estimé que notre fédération était certainement corrompue. J'ai montré le dossier à un avocat, il en pleurait de rire tellement nos adversaires avaient utilisé de grosses ficelles.
Le président de la commission d'appel était du club de l'accusé. Il s'était écarté mais assistait aux débats. Quand il voyait que les sessions étaient en passe d'être reportées, il jubilait comme s'il avait gagné le jackpot. Il m'avait fait penser à la blague du chien mauvais au poker car il remue la queue lorsqu'il a du jeu.
Dans cette affaire, mon ressenti fut que la fédération était gérée par de vieilles personnes réactionnaires qui savaient à peine jouer et étaient là surtout pour se faire rincer. Ils n'avaient montré aucun respect pour un entraineur et ne semblaient pas concernés par le problème des violences sur des filles dans les tournois.
A la FFE, le président sortait la carte bancaire fédérale et c'était table ouverte. Si l'andouillette étaient bien grillée, ses invités votaient tous comme un seul homme derrière lui. La démocratie du ventre.
Le système D à la française, pour lutter contre la crise, des bénévoles prenaient un poste à la fédération et c'était régal gratis; Grâce aux niches fiscales, ils obtenaient des réductions d'impôts par l'intermédiaire de leur club tout en avançant partout leur bénévolat.
Ayant abusé, le président fédéral se fit sortir car des irrégularités dans les comptes avaient été pointées lors de l'assemblée générale mais son successeur fut pire que lui.
Bravo aux étudiants limousins car même dans un tournoi d'amateurs, les titres nationaux sont difficiles à décrocher. Ils ont présenté une équipe homogène et ont brillé à Besançon.
Depuis un an et demi, je faisais un cours de deux heures par semaine aux étudiants de la faculté. Du travail d'analyse de bon niveau pour accroître leurs capacités et les mettre en situation. Je leur ai montré comment travailler les échecs. Ils étaient assidus.
Je connais certains de ces élèves depuis le cours élémentaire. Une entreprise de longue haleine.
J'a été viré de cet emploi d'entraineur et remplacé par une personne moins compétente mais plus introduite dans le milieu universitaire. Les bons résultats ne sont pas une assurance dans ce métier.
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